Je me souviens encore de ce beau rendez vous,
C'est une de ces choses que la mémoire sème,
C'était à minuit, mais le temps était doux,
Sous la lune étoilée elle m'a dit : "Je vous aime"

Elle s'appelait Erzebeth, et elle était comtesse,
Encore que sa beauté fut son plus noble titre.
M'enlevant ma chemise avec délicatesse,
Elle voulut avec moi écrire un long chapitre.

Je sentais son parfum courir sur ma peau,
J'étais omnibulé par ses lèvres écarlates,
Ses mains me caressaient tout doucement le dos,
Et elle me parlait d'un certain Ponce-Pilate.

Elle me fit un aveu, poussée par l'air du soir :
"J'adore les suçons, c'est cela ma passion !"
Et moi avec orgueil, certain de ma victoire,
Lui présentait alors mon cou sans protection.

Sa bouche doucement massait ma belle artère :
De toutes les sensations, c'n'est pas la moins charmante,
Et déjà je pensais m'envoler dans les airs,
Emporté dans les bras de ma puissante amante.

Il fallait voir, mon dieu, comme elle était heureuse !
Tenant bien fermement ma tête entre ses mains,
S'accrochant à ma peau comme une plante vénéneuse,
Et aspirant en moi ce qu'il y avait d'humain.

Et plus de trois cents ans ont passé aujourd'hui,
Je guette les passants, j'épie tous les trottoirs,
En quête de victimes, je passe de blanches nuits,
Alors méfiez-vous de mes beaux yeux tout noirs.