Ce soir, c'est samedi, elle sort :
Elle va faire ses courses à ED.
La mère traîne ses deux mouflets baveux
Bourrés de bonbons bon marché
Barbouillés de sucre jusque dans leurs poches.
Heureusement le plus petit tient encore
Assis dans le siège rouge du caddy
En voilà toujours un qu'elle aura bien en mains.

Chaque nouveau rayon lui pose un problème
Que va-t-elle faire à bouffer ce soir
Et demain soir et après-demain
Et jusqu'à la nuit des temps
L'angoisse la prend à la gorge, elle en pleurerait
La voilà coincée, propulsée mère nourricière
Sans avoir rien demandé
Pour au moins quinze ans, une vie, une éternité.
Ses marmots lui bouffent sa belle jeunesse.

Mais le jour de leurs dix-huit ans
Adieu Berthe, ils prennent la porte.
Les meilleures choses ont une fin
Elle veut vivre un peu pour elle
Chacun son tour d'en baver.

C'était déjà pas facile pour elle, à la DASS,
A jamais trouver sa place
Et le mari de la nounou qui
C'est qu'elle était déjà formée à douze ans
Pas de bol

Bref, ses petits à elle ont de la chance à côté
Ils ont la belle vie.
L'aîné s'amuse à remplir le chariot à son idée,
Les raviolis à la tomate écrabouillent le babybel
Dentifrice à la fraise, bonbons à la banane.
La mère, sévère, engueule son rejeton
Les clients se retournent
Elle est fière de montrer qu'elle se fait obéir.

Le gamin lui prend la main et la mord.
Elle lui prend la tête et le mord à son tour
De ses dents de lapin en plein milieu du front
Ca lui apprendra.
Tiens, tu vois comme ça fait mal ?
Hein ?
Le marmot la tape en hurlant
Autour, les gens sont à l'arrêt, choqués.
La mère repart plus loin en poussant son caddy
Ee rayon en rayon comme une forcenée.
Ah ! Les mômes ! Si elle avait su.