EXIL

Nous avions atteint les limites du désespoir
Quand, par décret, fut lancée cette opération
Laquelle…je ne sais.. mais ce fut la révolution
Fuir au péril de nos vies pour retrouver l'espoir
Je me souviens… des jours de folie suivirent
Notre déménagement à toute berzingue
Toute notre fortune, un tas de bastringue
Qu'en majeure partie nous dûmes détruire
Je pus sauver ma flûte et mon Mélodica
Un magnifique vieux recueil de poésies
Une photographie déjà fort jaunie
Enfin, par miracle, mon magnifique Bouddha
Ce fut essentiel pour l'enfant que j'étais alors
Car nous étions parias, fuyant notre patrie
Je ne mesurai l'ampleur de cette infamie
Que bien plus tard lorsque nous atteignîmes le port…
Mais avant nous dûmes affronter la montagne
Nous avancions péniblement tel un escargot
Nous avions faim et soif, manquions cruellement d'eau
Nous avions fait un petit balluchon de notre pagne
Pour transporter et conserver toute cueillette
Seule subsistance agrémentée d'épices
Que nous avalions sans une ombre de caprice
Nous n'avions même pas la plus petite assiette.
Je me souviens de mes courtes nuits agitées
Par de sombres rêves récurrents et pernicieux
Je ne fus plus qu'une âme en peine, toujours soucieux
En proie à des angoisses toutes les journées
Un de ces cauchemars encore parfois me revient
Je suis dans un potager et j'observe un poireau
Quand tout à coup le voici devenir bleu indigo
Fasciné je m'en approche …il n'y a plus rien!
C'est là que d'un nuage surgit un étalon
Je comprends que le poireau s'est enfouit sous terre
Sans doute alerté par le fracas de tonnerre
Ou par l'envol d'une nuée de papillons
Je prends mes jambes à mon cou, pris d'une peur panique
Mais me heurte à une forteresse immense
Là mon esprit se perd dans une étrange errance
Suivant les voies de la paroi asymétrique
Je parviens à l'escalader jusqu'au sommet
Cette ascension me fit l'effet d'une délivrance
Or elle ne fut qu'une éphémère jouissance:
L'étalon resurgit à la tête d'une armée
D'ail, faunes et flores aquatiques brandissant des galets
Haranguée par leur Muse sur un minaret
Crachant une pluie d'escarbilles enflammées
Là, je me réveille en sueur et hurlant de peur…
Pardonnez moi je me suis éloignée du sujet…
Il me faut finir de vous conter en un seul trait
Cette histoire avant que mes souvenirs se meurent…
Nous traversâmes donc montagnes, cours d'eau et vallées
Quand nous aperçûmes au loin les falaises… la mer
Une vague de tristesse indicible et amère
Nous submergea, arrachant nos larmes salées.
Nous embarquâmes pour la terre d'exil
Lors j'appris que nous venions de fuir le jugement
Auquel était condamné mon père, injustement.
Et je fus au crépuscule de mon enfance docile.