Cher L., cher fantôme du passé
il y a un peu plus de trente ans, vous m'avez écrit une lettre. Elle était expédiée du club Méditerranée de Korba en Tunisie et elle était datée du 13 juillet 1975. J'allais avoir 13 ans et nous étions dans la même classe.
La lettre commençait par mon prénom et vous aviez mis un coeur sur le i. Vous me racontiez comment vous passiez vos vacances, la chaleur torride du soleil de Korba qui vous faisait attrapper des coups de soleil sous le tee-shirt. Vous faisiez tout un tas d'activités : judo, escrime, kung-fu, voile, natation ... Je connais cette lettre par coeur. Vous évoquiez" un monde qui m'était alors inconnu. Vous terminiez cette lettre en disant que vous pensiez à moi, que j'étais une "chic fille", que vous m'aimiez bien. Vous vous excusiez du comportement que vous aviez lorsque vous étiez avec les autres garçons. Enfin, vous écriviez qu'il vous tardait de me revoir.
Je lis et je relis votre lettre et dans mon coeur s'éveille un sentiment inconnu. Je cherche des mots pour vous répondre. Je voudrais vous parler de ce que je fais. Je suis en train de déménager. Je quitte Ingres, le grand lycée qui m'a vu grandir. Vieilles pierres et briques du siècle dernier et des cours à n'en plus finir. Vous souvenez-vous, nous avions baptisé d'un nom chacune d'elles. Certaines ressemblaient à des cloîtres encadrés par de grandes galeries cimentées qui avaient été les témoins bienveillants de nos premiers essais à vélo ou à pattins à roulette. Formidables parties de cache-cache les soirs de juin où l'obscurité rendait palpable en plein coeur de la ville un morceau de campagne dans la cour d'honneur. Clarté des vers luisants dans la pelouse, parfums s'échappant du bruissement des arbres, silences lourds interrompus par des rires d'enfants ... Je dois aussi accepter de me défaire de la chambre de surveillant que mes parents avaient réquisitionné à l'écart de leur appartement. Rare privilège que je devais à ma qualité d'aînée. Précoces frissons d'une indépendance somme toute trés relative mais j'avais ma propre clé et personne ne pouvait contrôler ce que je faisais de mes nuits. Sitôt la porte refermée sur un de mes géniteurs, aprés un temps de sécurité , je les passais à lire en cachette les classiques dont ma mère faisait une amoureuse collection. Je découvrais pêle-mêle Anna Karénine, l'Idiot, Les liaisons dangereuses ... En cet été 1975, je quittais définitivement le lycée Ingres. Or j'étais à cet âge délicat où le corps change et où je n'acceptais pas ces premiers signes de la puberté. Il m'arrivait sottement de me frapper la poitrine dans l'espoir insensé d'en bloquer la croissance. Il faut dire qu'à l'époque, à Ingres, il n'y avait de mon âge que des garçons et que je préférais leur compagnie. D'ailleurs mon plus grand plaisir était de rivaliser avec eux. Plus rapide à vélo, plus agile à monter aux arbres. Il me fallait prouver que j'étais la meilleure. Tout cela allait prendre fin. Nous ne partions pas bien loin, pourtant : mes parents étaient mutés dans un établissement de la même ville. Mais la distance était ailleurs et j'en étais pleinement consciente. C'était mon enfance aussi que je quittais.
Cet été là, je cherchais les mots pour vous répondre mais il y avait un fossé entre ce que votre lettre avait provoquée et ce que j'étais capable d'écrire. J'avais été touchée par la simplicité du ton. Il s'y dégageait une tranquille assurance et un regard sur la vie qui me paraissait bien supérieur au mien. Je désirais me montrer à la hauteur de cette estime que vous me témoigniez et je ne voulais pas vous importuner avec mes états d'âme. Et puis, il y avait quelque chose de magnifique dans cette lettre. Un subtil équilibre entre amitié et amour et je ne savais pas à quel sentiment répondre. En m'ouvrant au second j'avais peur de perdre le premier. Je craignais aussi de m'être fait des illusions et votre amitié nouvelle m'était trop précieuse pour prendre le risque de vous éloigner en vous révélant un sentiment aussi fort. Mais il était tout aussi difficile de répondre au premier, car alors aucun mot ne trouvait grâce à mes yeux en ce qu'il me semblait toujours dissimuler une partie de la vérité.
Et pendant ce temps, les jours passaient et plus ils passaient, plus grandissait la difficulté de vous répondre car elle s'accompagnait dans la même proportion de la culpabilité que je ressentais en imaginant votre déception. Plus le temps s'écoulait, plus s'imposait la nécessité de donner des explications à ce retard. Il n'était plus possible de répondre simplement. Je conservais néanmoins un fol espoir. Celui de vous voir à la rentrée des classes et de pouvoir vous dire enfin ce que j'avais sur le coeur. J'étais si naïve. Le jour tant attendu arriva. Et cela ne se passa pas du tout comme je l'avais voulu. Vous m'évitiez. Il était évident que j'avais élevé un mur invisible entre vous et moi. Il me sembla d'ailleurs que c'était la juste rétribution de mon silence. J'essayai par moments d'attirer votre attention, mais en vain. Je me sentais transparente, je me trouvais ridicule et pendant deux ans, je ne pensais plus qu'à vous.
J'eus conscience alors que je devais tourner la page et oublier. je vous oubliai donc.
Mais les pages de la vie s'écrivent à notre insu. Je devais plusieurs fois me heurter aux mêmes murs avant de réaliser que c'était moi qui en empilait les pierres.
Il me fallait dire adieu à ce passé avec élégance.
J'ai choisi de le faire avec mes poèmes.
Nathalie-calsior, juin 2006
Écrit par calsior
A qui la poursuit
la luciole offre sa lumière ! ôtomo Oemaru Catégorie : Amour
Publié le 13/07/2007
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@ Calsior, L'adolescence, un temps difficile, Celui de nos premiers coups de coeur, Celui de nos premiers vrais chagrins, L'oublier n'est pas toujours facile, Alors gardons en que la douceur Pour enfin continuer notre chemin. Amitiés - Chabada. |
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chabada |
... je ne sais que dire à la suite de ce texte... j'Adore !! |
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Paradise |
qu'elle belle lettre.. | |
xfmsanchez |
@ChabadA merci pour ton beau commentaire je sais qu'il est sincère je n'ai pas oublié mes hiers mais ils ne me tiennent pas dans leurs fers car sans relâche je poursuis mon chemin dans le présent je vis ma foi assez bien Amitiés Calsior |
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calsior |
merci Paradise et Xavier, vos compliments me touchent. J'aurais aimé envoyer cette lettre autrefois. Je n'ai juste que trente ans de retard ! | |
calsior |
il n'est jamais trop tard tu sais. | |
Paradise |
merci Paradise, non, il n'est jamais trop tard pour être heureux et pour vivre, et c'est ce que je veux savourer encore chaque jour de ma vie, chaque jour m'enchanter de me lever le matin, d'être en bonne santé, d'entendre mes enfants rire, de voir les tourterelles disputer à mes cochons d'inde les graines que j'ai jetées dans le jardin !!! | |
calsior |
Très beau Calsior ! On fait tous des erreurs à cet age-là, j'ai le même regret que toi, d'être peut-être passée à côté de quelque chose de beau. Mais sans doute, notre erreur nous a-t-elle fait avancer autrement et grâce à elle, avons-nous découvert autre chose ... Beaucoup de poésie dans tes mots. |
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Nighty |
merci beaucoup nighty pour ton com, je crois qu'on apprend beaucoup par ses erreurs en effet, l'important est de toute manière d'avancer et de tâcher de ne pas les recommencer. La vie est courte ! | |
calsior |
Superbe lettre calsior... | |
sweet revenge |
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