J'avais une idée en tête et je l'ai laissée
En chemin, emportée peut-être à mon élan
Par mille autres pensées se pressant qui naissaient,
Et prenaient le pas et me rendaient plus lent.
Le café fumant dans la tasse et le croissant
Avaient une aura chaude et une odeur divine
De déjeuners d'ardents matins, où va croissant
Le désir de ravoir la chaleur qu'on devine
Près de soi, autour de nous, répandue partout :
En bord de mer, au ciel clair, sur le pas de porte,
Dans le vent doux, l'air tiède, et dans le coeur surtout,
Les hommes délaissés que la nature emporte.
Laissant là mes amis, je sortais pour marcher
Comme chaque matin du côté de la mer,
Essayant de remettre au jour le sens caché
D'impressions passées que j'avais senties amères.
C'était indéfinissable, et pourtant c'était,
Entre mes invités plus que l'ombre du doute ;
Et pourtant rien autre qui ne se rapportait
Qu'à moi, qu'ils étaient liés, et j'irai hors ma route.
Ma tête se vidait à ne vouloir saisir
Le fil ténu tissé par deux êtres si distincts :
Le peintre ami et la femme aimée au clair rire,
Ma compagne ennemie, - nulle raison -, d'instinct.
Je savais qu'il n'était besoin ni de savoir
Ni de vouloir pour être et être simplement,
Et se touchant tout juste emporter chaque soir
L'oubli du contact pour un nouveau jour, aimant.
J'étais ainsi venu du côté de la baie,
Embrassant à l'autour le ciel, la mer, la plage,
Scintillants de couleurs qu'ourlait le soleil frais
Et la peau picotée de la fraîcheur du large :
J'avais donné ce cadre à mon peintre tanné,
Briseur de ligne, écorcheur de teinte, adversaire
Des nature-mortes, murs nus et fleurs fanées,
Pour ses éclairs percutant l'oeil piquant les nerfs.
La falaise où j'étais, gouffre au bord du monde,
Où la foudre et la grêle et même la pluie
Entonnent avec l'écho leur colère profonde ;
Où le ressac bruisse, était trop calme aujourd'hui.
Ce climat incertain qui n'est jamais le même
D'un jour à l'autre, ici ou là-bas, dirigeant
À mes yeux les sourdes révoltes que l'on sème,
Car dans une vie d'homme si peu est changeant.
Je nous voyais en bas, elle et moi, sur la grève,
Les galets de granit accrochant nos orteils ;
Elle qui chantait avait alors la voix brève,
Disant des choses qu'on se chuchote à l'oreille.
Dans le flot caressant des mots tendrement dits,
Se percevant à peine en bord de mer houleuse,
Noyés de bruits par les éléments, assourdis,
Versés en douce plénitude d'amoureuse,
Non pas face à la foule. Mais la mer écoute
Nos secrets dans sa houle, et elle et le galet
Sentent nos pas hésitants et notre humain doute,
Et roidissent et mugissent leur hargne d'objet.
Je n'avais rien cueilli de ce qui va mourant,
Qui s'offre en trophée dans la forêt de symboles
Qu'une vie collationne un à un en coulant
Ses jours dans le plomb brûlant d'ambiguës paroles.
Ah ! j'étais aveugle ! moi qui n'avais jamais
Lu ces vertiges fugaces sur son visage
Figé, vestige assagi des fêlures, mais
Etais l'auteur de ce désespoir et l'otage :
Le bonheur qui ne connaît pas de lendemain,
Qui meurt et jamais ne revient et qui est tel
L'herbe fauchée d'une brusque poignée de main
Sur laquelle le sel dissolu s'amoncelle.
Or, plus vaste que l'océan ou l'univers
Est l'idée de la mort à ce moment-là, qui
Fige à jamais l'un de ces courts chemins ouverts
En plein bonheur, vers tout ce qui n'est pas acquis.
Plus dérobé de sens que l'immensité bleue
Des tableaux de Klein, l'éternité de Rimbaud,
Est la quête éternelle où tout ce qui nous meut
Nous lasse et nous fait murmurer : est-il plus beau ?
Certains ont préféré la flaque au lac, et d'autres
Le retrait au voyage, or j'ai moi préféré
L'Incarnation au rôle, plat de doux-apôtre,
Et par mon geste le blasphème proféré.
Je me jetais à l'eau du haut de la falaise
Enroulant cent ciels dans le tournoiement d'un corps,
Chaviré comme un vague marin de malaise,
Enveloppé d'écume et durement encore,
Jusqu'à la vue des profondeurs où les yeux s'ouvrent
Et qu'on ne sombre plus et qu'on va s'oublier...
Soudain le choc à la conscience qui s'entrouvre
À la peur de ne jamais plus se voir monter
Eclate en douleur, et trouble, et paix, et grand froid ;
Et, pour river le bouchon en ouvrant la bouche,
L'eau bue dans un dur calice est un vin de foi ;
Et se tasse et s'outre le corps, la forte souche.
Je veux aller au large, l'amarre larguée,
Et laisser derrière se déchirant, deux êtres,
Qui s'ignoraient éloignés de moi, s'approcher
En m'oubliant sans rien qui me fasse renaître.
Et, privé des sens gisant à jamais sous l'eau,
Sous les oiseaux hurlant leur effroi infini,
Cessent ces souffrances venant qu'on aime trop,
Seul plaisir échu mais à la torture uni.
Et, mon corps engourdi et s'éteignant le cierge,
Avant que ne se dispersent en fragments d'oubli
Et disparaissent en tous lieux mes traces, fier, je
Cherchais cette pensée qui tantôt m'avait fui...
Écrit par jacou
L'art alchimique me tue, me transmute, me sublime. J'en renais plus fort, poétiquement. À suivre.
Catégorie : Divers
Publié le 12/04/2015
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Belles évasions et bien écrit. J'aurai encore plus apprécié si c'était un peu moins long je pense | |
Poesie nocturne |
une grande ballade bien jolie *:) | |
MARIE L. |
une magnifique création poétique! | |
pat |
Personnellement je pense que c'est trop long bien que ce récit fourmille de bonnes idées. J'ai aimé. | |
TANGO |
Je vous remercie pour vos commentaires et pour vos critiques. Le texte est un peu long, je n'ai pas su élaguer pour condenser le récit. | |
jacou |
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